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Cloudflakes
7 septembre 2008

Jonathan Coe - Bienvenue au club

33__toiles



bienvenue_au_club

«Moi, je vous le dis, il y a tout un bordel pas clair du tout qui se passe en ce moment dans cette bonne vieille Angleterre.» Ne dîtes surtout pas à Jonathan Coe que les années 1970 furent les plus belles années de la vie ! Epoque contrastée en vérité, qui fut celle aussi bien des Monty Python, du glam rock et de l’engouement pour Tolkien, que de la montée des partis d’extrême droite et de la mise au pas du monde par les militaires. Car les belles heures d’une contre-culture qui ne jurait que par Abba et Eric Clapton furent aussi, se rappelle avec amertume le romancier britannique, celles de l’Angleterre pré-thatchérienne qui sonnèrent définitivement le glas des espérances de la gauche progressiste.

Bienvenue au club (The Rotter’s Club dans le titre original) est une chronique douce-amère de la vie lycéenne dans la modeste Birmingham, ce «no-man’s land culturel», ce trou du cul du monde comparé à l’aristocrate Chelsea, entre les années 1973 et 1979. L’auteur, qui s’était déjà signalé par un très réussi Testament à l’anglaise, croque ici avec bonheur la vie d’une bande d’adolescents partagés entre l’éveil de la sexualité, le besoin de s’affirmer à travers l’expression artistique - qu’elle soit d’ordre littéraire, dramatique ou musical -, et les velléités politiques : celles du marxisme à la petite semaine de la séduction gauchiste. Le héros de cette saga s’appelle Benjamin Trotter, double fictif, comme on s’y attend, de l’auteur : impérial à l’écrit, mais d’une maladresse incurable à l’oral dès lors qu’il se trouve à proximité d’une jeune fille.

Le traitement des événements politiques – la brutalité de la répression policière contre les ouvriers grévistes ; les attentats de l’IRA ; l’idéologie raciste du Front national britannique -, pour servir de toile de fond au roman, n’est cependant pas ce qui en fait la force. L’intérêt du livre résidant dans la restitution non pas tant du climat idéologique de l’époque que dans la recréation des moeurs de l’adolescence : cet âge où le naturel et la candeur de l’enfance projettent leurs derniers feux, mais rendus déjà méconnaissables par l’initiation aux enjeux et aux problèmes de la vie adulte. Jonathan Coe restitue en maître la tonalité du tournant biographique qui est le temps de l’éducation sentimentale comme celui, souvent, où se décident les vocations.

«Je me demande s’il y a dans la vie des moments non seulement «qui valent des mondes», mais tellement saturés d’émotion qu’ils en sont dilatés, intemporels (...)», s’interroge le héros. Benjamin Trotter, au moment où il commence à en pincer pour une certaine Cicely («S’il avait eu le choix entre regarder Cicely se curer le nez et se faire lascivement sucer tour à tour par Brigitte Bardot et Julie Christie, il n’aurait pas hésité une seconde»), ne sait pas qu’il connaîtra de tels moments. Du personnage principal, on peut déplorer le côté un peu falot qui n’a d’égal que le caractère exceptionnel de ses dons artistiques. Il n’empêche, Jonathan Coe n’a pas son pareil pour ressusciter, à la faveur d’une blague de potache ou d’une scène d’anthologie explicitement sexuelle, cet âge qu’il est convenu d’appeler ingrat, qui ne l’est peut-être pas tant que ça, en plein coeur de ces seventies si proches de nous, et pourtant déjà si loin.

Thomas Regnier, Parutions.com

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